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ENTRETIEN Par Madeleine Meteyer Le Figaro (21/12/2021) – Anne Ducastel est «coach», spécialisée en relation parents-enfants. Aux adultes qui se sentent méprisés par leurs parents, elle propose des stratégies pour partager bûche et dinde avec eux sans en venir aux mains.

Le Figaro. – Pouvez-vous nous dresser un portrait-robot du parent dit toxique ?

Anne Ducastel. – Leur première caractéristique est leur assurance : ils n’ont aucune culpabilité, aucun doute (en tout cas, pas durables), considèrent avoir toujours raison.

Leur toxicité émane du fait qu’ils ne savent pas rester à leur place et se permettent d’être intrusifs. Ce sont des parents – surtout des mères en ce qui concerne mes clients – qui, de façon souvent inconsciente, gênent ou blessent leurs enfants et qui restent sûrs de bien faire, même lorsqu’on le leur fait remarquer. Cela relève de la déficience psychologique.

Qu’est-ce que l’approche de Noël réveille chez les enfants de ces parents dits toxiques ?

Pour des adultes qui ont décidé ou envie de mettre des distances avec leurs parents, tout événement de ce type est une goutte d’eau dans un vase trop plein : l’occasion de se rappeler qu’ils n’appartiennent pas à une famille fonctionnelle.

Et puis il y a l’épisode des cadeaux, attendu comme une épreuve. Certains parents peuvent se montrer odieux à ce moment. Recevoir celui d’un de leur enfant avec une grimace ou ne rien dire ou glisser à l’un des frères et sœurs « je ne comprends pas pourquoi il m’a offert ça, il sait bien que ce n’est pas ma couleur etc. ».

L’attitude que vous décrivez peut n’être qu’une maladresse. Certains enfants ne qualifient-ils pas un peu vite leurs parents de toxiques ?

Admettre que l’un de ses parents est toxique, c’est faire preuve au contraire d’un grand courage, après des dizaines d’années de mal-être sans conscience réelle de l’origine de cette souffrance.

On a tous de temps en temps un comportement toxique avec notre entourage, nos enfants notamment. C’est la permanence et la récurrence de ces attitudes qui permet de qualifier une relation de toxique. Un parent qui se montre systématiquement blessant et ne fait qu’accuser la sensibilité de celui qui  le lui fait remarquer est probablement un parent toxique.

Bien sûr, certains enfants exagèrent, oui. Tiennent à distance leurs parents sans bonne raison et après avoir profité pendant des années de leur argent, de leur disponibilité – pour la garde des petits-enfants notamment. Mais c’est beaucoup plus rare. Qui coupe sans raison les liens parents-enfants ?

 Les personnes qui viennent me voir n’exagèrent pas leur stress, voire leur angoisse . Lorsqu’elles se décident à consulter, c’est qu’elles ont exploré toutes les solutions possibles. Elles me disent « j’ai tout essayé… je n’y arrive pas ! ».

Leur ressenti est fondé sur des faits, parfois très graves. Certaines ont été bousillées. Le sont encore à un âge avancé. Après, c’est aussi une affaire de personnalités. Certains êtres sont plus sensibles que d’autres et un parent peut être toxique pour l’un de ses enfants et pas pour un autre.

Pourquoi ces enfants-là, devenus des adultes libres de leurs mouvements – et donc capables  de refuser une invitation – tiennent-ils donc à fêter Noël avec ce père, cette mère dont l’attitude les abîme ?

Ah, c’est la grande question ! Pourquoi fréquente-t-on tout de même ses parents quand leur attitude nous mine ?

Je pense que la culpabilité est l’explication principale. Les enfants de parents toxiques passent leur temps à culpabiliser. À se sentir coupables de ressentir ce qu’ils ressentent. De priver leurs parents de leurs petits-enfants. De ne pas avoir un rapport dit « normal » avec leurs parents. De ne jamais faire « suffisamment bien » pour eux.

Ils sont, depuis leur enfance, dans la quête perpétuelle de l’amour inconditionnel auquel ils ont droit et qui ne leur a pas été octroyé de façon adaptée.

Ne peuvent-ils pas dominer leurs émotions le temps d’une journée, d’une soirée ? Ne serait-ce pas une preuve de maturité ?

Pourquoi domineraient-ils leurs émotions ? Les émotions sont d’excellents indicateurs, elles nous fournissent des informations sur la dangerosité présumée d’un environnement et sur ce que l’on est capable de supporter (ou pas).

« Prendre sur soi » n’est absolument pas synonyme de maturité.

Pour moi, la preuve d’absence de maturité provient au contraire du parent. C’est lui/elle qui ne sait pas rester à sa place et accepter que son enfant a grandi, qu’il est lui aussi devenu un adulte avec qui il convient d’échanger sur un pied d’égalité.

La bonne nouvelle, c’est que si l’on décide de se rendre malgré tout à ces fêtes si périlleuses pour l’équilibre nerveux,  des stratégies sont possibles.

Quelles stratégies sont-elles possibles pour se protéger d’un parent toxique ?

Une bonne idée est de se trouver des alliés, de repérer à qui on peut dire, en amont, qu’on angoisse d’aller à ce réveillon.

Une fois sur place, on peut décider de s’occuper des enfants (ou de la cheminée), pour éviter d’être constamment dans la même pièce que le parent dont les propos peuvent réveiller une blessure. Cela peut être qualifié de fuite mais qu’importe ?! Toute tactique est bonne pour éviter d’entendre répéter la même blagounette désobligeante sur comment on était insupportable quand on était petit ou le jugement péremptoire sur la « bonne » façon d’élever les enfants…

Allez-vous jusqu’à qualifier ces parents de pervers narcissiques ?

Surtout pas, c’est la tarte à la crème, ce terme ! Tout le monde semble être ou avoir été « victime d’un pervers-narcissique » dans sa vie.

Or c’est un diagnostic psychiatrique. Il faut être médecin pour le poser. Pour ma part, je peux dire d’un comportement qu’il est pervers. D’une personne qu’elle est narcissique. Mais pas désigner une personne comme perverse-narcissique, c’est une très lourde accusation. Qui, en plus, ne sert concrètement à rien sinon à utiliser un argument qui se veut d’autorité pour se conforter dans un statut de victime impuissante.

Comment s’enferme-t-on dans un statut de victime de parent toxique ?

D’abord en se plaignant. En racontant en boucle les mêmes histoires. Dans le but de se faire plaindre ou de justifier son manque d’autonomie ou ses propres lacunes. En repoussant aussi toutes les formes d’aide (amicale ou thérapeutique), en n’ayant pas conscience de l’emprise.

Comment sort-on du statut de victime de parent toxique ?

En ayant conscience des remarques, des gestes qui nous blessent. Puis en les faisant remarquer au parent qui en est à l’origine en lui demandant de ne pas recommencer.

Dans un second temps, on peut tout à fait décider de quitter une pièce si certains propos sont réitérés. Pour marquer sa désapprobation. Voire quitter la maison si c’est la sienne ou le faire sortir de chez soi s’il se comporte de façon inadaptée dans notre maison.

On peut aussi mettre de la distance physique ou émotionnelle entre ses parents et soi : espacer les appels téléphoniques, les visites, ne pas les voir à Noël en leur disant clairement « Je ne viens pas parce qu’à chaque fois que je viens, je m’en prends plein la figure.»

Légalement, un enfant doit s’occuper de ses parents vieillissants. Sauf si ces derniers se sont montrés particulièrement maltraitants avec lui dans son enfance. C’est un devoir. Ne pensez-vous pas que c’est aussi un devoir éthique ?

Si, tout à fait. Je défends la loyauté filiale. On est toujours l’enfant de ses parents.

Je répondrai selon deux axes : l’un plutôt juridique (ou « éthique ») ; l’autre plutôt émotionnel, affectif.

Le devoir filial existe. Il est encadré par la loi. Cependant, s’y référer révèle déjà une relation déficiente. En parallèle, le devoir parental existe également. Lorsque les parents sont âgés, qui peut apporter des preuves que ce dernier a été (ou pas) correctement exercé ?…

Les relations peuvent s’apaiser, avec le temps, avec du travail sur soi – essentiellement de la part des enfants, les parents ne reconnaissant que rarement leurs erreurs…

Les enfants peuvent finir par pardonner. C’est un long chemin, parfois de toute une vie. Il faut y être prêt. Il n’y a pas de pardon contraint.

Les dernières années de la vie des parents peuvent également être l’occasion de tenter des rapprochements authentiques. Pourvu que la bienveillance soit partagée.

C’est évidemment ce que nous souhaitons tous.

Si les fêtes de Noël cristallisent les souffrances, pourquoi ne pourraient-elles donner lieu à des réconciliations ?…